Saint-John
Perse, Oiseaux.
Oiseaux,
XIII
le
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Saint-John Perse
XIII
Oiseaux,
lances levées à toutes frontières de l'homme !…
L'aile
puissante et calme, et l'œil lavé de sécrétions très pures, ils vont et nous
devancent aux franchises d'outre-mer, comme aux Échelles et Comptoirs d'un
éternel Levant. Ils sont pèlerins de longue pérégrination, Croisés d'un éternel
An Mille. Et aussi bien furent-ils « croisés » sur la croix de
leurs ailes... Nulle mer portant bateaux a-t-elle jamais connu pareil concert
de voiles et d'ailes sur l'étendue heureuse ?
Avec
toutes choses errantes par le monde et qui sont choses au fil de l'heure,
ils vont où vont tous les oiseaux du monde, à leur destin d'êtres créés...
Où va le mouvement même des choses, sur sa houle, où va le cours même du ciel,
sur sa roue -à cette immensité de vivre et de créer dont s'est émue la plus
grande nuit de mai- ils vont, et doublant plus de caps que n'en lèvent nos
songes, ils passent, nous laissant à l'Océan des choses libres et non libres...
Ignorants
de leur ombre, et ne sachant de mort que ce qui s'en consume d'immortel au bruit lointain des grandes eaux, ils passent,
nous laissant, et nous ne sommes plus les mêmes. Ils sont l'espace traversé d'une seule pensée.
Laconisme
de l'aile! ô mutisme des forts... Muets sont-ils, et de haut vol, dans la
grande nuit de l'homme. Mais à l'aube, étrangers, ils descendent vers nous:
vêtus de ces couleurs de l'aube -entre bitume et givre- qui sont les couleurs
mêmes du fond de l'homme... Et de cette aube de fraîcheur, comme d'un ondoiement
très pur, ils gardent parmi nous quelque chose du songe de la création.
Washington, mars 1962.
lettres.lem/première/homme
& animal