Victor Hugo, "Tombeau de Théophile Gautier", Toute la Lyre (1888).

 


Victor Hugo, "Tombeau de Théophile Gautier", 1872.

Victor Hugo, "Tombeau de Théophile Gautier", 1872. (extrait du texte au format pdf)


Théophile Gautier, caricature au temps de la "bataille" d'Hernani.


 


Tombeau de Théophile Gautier

tombeau de Théophile Gautier, Paris, cimetière de Montmartre.


À Théophile Gautier

…Lorsqu'un vivant nous quitte, ému, je le contemple;
Car entrer dans la mort, c'est entrer dans le temple;
Et quand un homme meurt, je vois distinctement
Dans son ascension mon propre avènement.
Ami, je sens du sort la sombre plénitude;
J'ai commencé la mort par de la solitude;
Je vois mon profond soir vaguement s'étoiler;
Voici l'heure où je vais aussi, moi, m'en aller,
Mon fil, trop long, frissonne et touche presque au glaive;
Le vent qui t'emporta doucement me soulève,
Et je vais suivre ceux qui m'aimaient, moi banni.
Leur œil fixe m'attire au fond de l'infini.
J'y cours. Ne fermez pas la porte funéraire.

Passons, car c'est la loi; nul ne peut s'y soustraire;
Tout penche et ce grand siècle, avec tous ses rayons
Entre en cette ombre immense où pâles nous fuyons.
Oh! Quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule!
Les chevaux de la mort se mettent à hennir,
Et sont joyeux, car l'âge éclatant va finir;
Ce siècle altier, qui sut dompter le vent contraire,
Expire… -- Ô Gautier! Toi, leur égal et leur frère,
Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset.
L'onde antique est tarie où l'on rajeunissait;
Comme il n'est plus de Styx, il n'est plus de Jouvence.
Pensif et pas à pas vers le reste du blé;
C'est mon tour; et la nuit emplit mon œil trouble
Qui, devinant, hélas, l'avenir des colombes,
Pleure sur des berceaux et sourit à des tombes.


1872


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